Cheval Hermès
Sureau du Bocage
Œuvre conçue et réalisée pour la nouvelle boutique Hermès de Hambourg, Neuer Wall 43.
1,70 x 1,80 x 1,10 m – bois de tilleul – Collection Émile Hermès – 2022-23
© Hermès
© Hermès
Vues d’atelier
Sureau du Bocage
Œuvre conçue et réalisée pour la nouvelle boutique Hermès de Hambourg, Neuer Wall 43.
Vues d’atelier
En 1942, durant le siège de Léningrad, un incendie dû à des bombardements aériens se déclara dans la forêt de Raikkola. Pour en échapper, les chevaux de l’artillerie soviétique se jetèrent dans le lac qui gela soudainement.
Dans son roman Kaputt, Curzio Malaparte décrit ainsi le spectacle s’offrant aux hommes le lendemain :
« Le lac ressemblait à une vaste surface de marbre blanc sur laquelle auraient été déposées les têtes de centaines de chevaux. Les têtes semblaient coupées net au couperet. Seules, elles émergeaient de la croûte de glace. Toutes les têtes étaient tournées vers le rivage. Dans les yeux dilatés on voyait encore briller la terreur comme une flamme blanche. Près du rivage, un enchevêtrement de chevaux férocement cabrés émergeait de la prison de glace… »
Hubert Reeves a utilisé l’histoire des chevaux du lac Ladoga pour expliquer le phénomène de surfusion :
«Si le refroidissement est rapide, comme en cette nuit de décembre, la glace tarde à se former. L’eau demeure liquide bien en dessous du point théorique de congélation. Cet état est instable. Mais quelques grains de sable, jetés brusquement, déclenchent un gel immédiat. Les poils fins des chevaux russes se ruant dans le lac ont suffi à précipiter l’étau de glace qui leur a servi de tombeau. Autour des grains de sable ou des crinières fines, la glace prend et se propage rapidement jusqu’à immobiliser toute la nappe liquide. »
Mes chevaux du lac Ladoga s’inscrivent dans une longue recherche très personnelle sur la survie : trouver le point de rupture où l’imminence de la mort rend le désir de vie hurlant et où les corps s’expriment avec le plus de violence. Ces chevaux figés par la glace sont saisis dans leur plus grande détermination à vivre. Leur plus grand élan à vivre.
Ma sculpture parle de l’érosion de toute chose. Les êtres créés sont aussi vieux que les montagnes.
L’humanité sans âge et son éternelle volonté d’être là se dressent, obstinées
Êtres ancestraux se tenant comme des rocs, et comme des rocs subissant l’épreuve du temps
Figures ravinées, soif hurlante
La résistance
L’ancrage au sol presque enlisement
Je suis l’arrière-arrière-arrière petite-fille d’un des survivants du Radeau de la Méduse.
Avec mon travail de sculpture est née l’incontournable nécessité d’exhumer de moi cette histoire. Tailler, donner du corps aux choses, en leur donnant du temps, de la densité, du poids.
Prendre la mesure de l’impensable choix auquel je dois ma vie.
La mer, sépulture mouvante. Vestiges de corps. Ce qui surnage. Qui atteindrait la rive. Quand on se dépossède de tout ce qui est humain, de l’appris.
En état d’inconscience, dans les racines du corps.
L’indomptable.
L’irréductible nécessité de vivre.
Le besoin impérieux de se nourrir.
Être un ensevelissement.
Sentir se faire en soi le long travail de la disparition.
Les tentations de la folie.
Se faire engloutir là, ne plus lutter.
Vertige de sentir qu’on tire son sang de là, qu’on est fait de ça, qu’on l’aurait fait aussi.
C’est cet instinct qui a porté jusqu’à moi.
Son sang, le mien, tout a passé.
Ça m’appartient, j’étais potentielle dans ces actes.
J’étais potentielle dans cette viande morte.
Qu’est ce qu’on transmet?
La dépouille, le manteau.
Choisissez. Enveloppez-vous.
Guenilles mortes, pendantes.
Habillez-vous.
Une nouvelle peau, bientôt vivante, bientôt rouge.
Chairs froides, coupées de la vie
réchauffez-vous, amalgamez-vous.
Faites peau neuve.
Être au bord de n’être rien.
Apprendre à se défaire.
Préparé, séché, tranché.
Pendu, encordé, exposé.
Déshumaniser l’homme pour être capable de le manger. L’élever, le sortir de l’eau, pour qu’il ne pourrisse pas, pour qu’il sèche au soleil.
Destinées abandonnées au hasard des courants.
A la dérive.
La mort déferle sur l’inévitable sacrifice.
Mille morsures des vagues,
voracité sous les doigts.
La puissance vitale se dresse et lutte.
Contre le corps qui se dérobe, contre la folie.
La viande me parle de ma propre substance, m’en fait prendre la mesure. J’y recherche une force vitale primordiale, à nu. Je veux faire surgir la présence à son niveau le plus profond, là où l’empreinte de la mort donne puissance à la vie.
Toucher à l’intimité pure.
Errance dans un paysage de peau, de chair et d’os.
Forces sourdes. Essentielles. La perception viscérale du vivant.
– L’EFFROI –
Le planté d’un questionnement hurlant
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